Depuis bien une vingtaine d'année, l'antisémitisme ne se fabrique plus seulement de la manière classique, par la haine et le rejet de ce qui est perçu comme juif. Il se fabrique aussi, de manière plus vicieuse, par l'hystérie que certaines personnes (par ailleurs inconditionnelles d'Israël et du capitalisme), essaient, souvent avec succès, de faire régner autour d'un antisémitisme imaginaire, qu'ils attribuent à leur ennemis politique.
On les a vues calomnier et s'attaquer à des personnes comme Edgar Morin, Daniel Mermet, Rony Brauman ou Hugo Chavez. En banalisant l'antisémitisme, en l'utilisant à fin politique, pour essayer de discréditer leurs adversaires par ce chantage ignoble, et même en l'amalgamant à des combats justes (comme la solidarité avec les palestiniens), ces gens font infiniment plus de mal que Le Pen, Dieudonné ou même Faurrisson.
L'«affaire» Siné en est un exemple supplémentaire.
Prenons Bernard Henri Levy, philosophe auto-proclamé. Il a commis dans Le Monde un "
point de vue" absolument épatant. Ça commence par un concentré de mensonge et de diffamation, et ça continue par de la calomnie et de l'amalgame à un niveau stratosphérique.
Nous citons le premier paragraphe :
«Voilà un humoriste - Siné - qui donne à son journal une chronique où il dit, en substance, que la conversion au judaïsme est, dans la France de Sarkozy, un moyen de réussite sociale et qu'il préfère "une musulmane en tchador" à "une juive rasée" (sic).»
1) Diffamation: Siné dit en substance dans sa chronique qu'épouser une riche héritière est un moyen de réussite sociale. Et il raille le fils Sarko qui, pour y parvenir, est prêt à se convertir à une religion qui n'était pas la sienne.
2) Faux: Siné n'a pas écrit dans cette chronique qu'il préfère une musulmane en tchador à une juive rasée. Il a peut-être écrit ça un jour, il y a bien longtemps, mais on aimerait bien avoir le contexte. Parlait-il alors de religion, de tchador, ou de capilarité ? La phrase était-elle assortie de saillies humoristiques ou d'arguments sérieux ?
Bon, nous au politburo, on n'a pas de chemise blanche, et on ne connait pas le tout-Paris personnellement, et donc pas Siné. Alors peut-être que BHL est mieux renseigné que nous. Mais quand un texte commence aussi mal (les faits sont là), on ne peut qu'avoir des doutes sur le suite...
Or, la suite, elle est grave, et elle reprend les méthodes et les objectifs des personnes dont on parlait plus haut :
Les défenseurs de Siné sont assimilés à des théoriciens du complot parce qu'ils cherchent les «
"vraies" raisons, forcément cachées, nécessairement obscures et douteuses». Or les guerres internes à Charlie, avec l'affaire Clearstream en particulier, sont de moins en moins cachées et obscures. Donc BHL calomnie ceux qui envisagent que la divergence Val-Siné dure depuis longtemps, et qui ne se contentent pas de la version officielle fournie par Val.
Il dit également qu'il y a une excuse trop souvent employée à l'antisémitisme :
«C'est celle qui consiste à dire : non à l'antisémitisme, sauf s'il s'agit d'un grand bourgeois, officier supérieur de l'armée française. Ou : non à l'antisémitisme sauf si l'enjeu est un symbole du Grand Capital, un banquier juif, un ploutocrate, un Rothschild. Ou : sus à l'antisémitisme, cette peste des âges anciens que le progressisme a terrassé - sauf s'il peut se parer des habits neufs d'un antisarkozysme»
C'est pour le coup totalement stupide, et surtout vicieux.
Stupide, car l'antisémitisme est la haine de tous les juifs, donc haïr seulement quelques personnes juives parce qu'elles sont bourgeoises, banquières ou sarkozyste n'a rien à voir avec l'antisémitisme. On n'a jamais vu, lu, ou entendu «Il faut éliminer les juifs, la preuve : la mère de Sarkozy est juive!».
Vicieux à double titre. D'une part, il induit que la critique des banquiers, des bourgeois, ou du sarkozysme n'est autre qu'un antisémitisme qui a trouvé une excuse. C'est la tendance actuelle : sitôt que quelqu'un critique un grand patron ou un président de la république, il est taxé d'antisémite. C'est extrêmement diffamant. En tant qu'antisarkozyste ennemi de la bourgeoisie mais totalement indifférent à la judéité, le politburo pourrait attaquer BHL. D'autre part, il associe sans vergogne critique du capitalisme et antisémitisme, ce qui a pour conséquence que certains esprits faibles associeront capitalisme et judéité. C'est une manière detournée de sa part de reprendre à son compte et pour servir ses intêrets le grand fantasme juif=riche (voir aussi PS1 ci-dessous).
Vous connaissez la fable de
Pierre et le loup l'enfant qui criait au loup ? [1] Vous savez comment cela fini.
Le cuistre va encore plus loin, en prétendant qu'il y a une «
tradition [...]
de passer de la rage tous azimuts [à la Siné]
à sa concentration antisémite». Autrement dit, tout contestaire est un antisémite en puissance, un futur nazillon. À titre de justification, il cite
« les anarcho-syndicalistes du début du XXe siècle,les partisans de l'action directe proposant [...] de "jeter" les Juifs sur "le fumier de l'Europe" (Ulrike Meinhoff, dirigeante de la Bande à Baader)...»
Ici,
BHL ment consciemment.
Déjà sur le fait que fait que les anarchistes, si il y en a bien eu des antisémites (et non des moindres), se sont globalement toujours bien tenus de ce coté-là. Par exemple, ils ont été parmi les premiers à se battre pour
Dreyfus (chose qui n'allait pas de soi, Dreyfus étant militaire et bourgeois et donc à double titre membre de la classe qui persécutait les anarchistes).
De plus, la suite de la phrase est une manipulation d'une citation d'Ulrike Meinhoff (qu'il a pourtant citée de manière exacte
ici-même). La vrai phrase est : «Six millions de Juifs furent tués et jetés au fumier de l'Europe pour ce qu'ils étaient: des Juifs d'argent.»
C'est très différent. Ulrike Meinhoff n'a pas appelé à "jeter" les juifs, mais proposé une explication (certes complètement délirante) au génocide dont ils furent victime. BHL ment et diffame encore une fois. Et par ailleurs, la connexion entre Siné et la bande à Baader nous échappe un peu ; mais tant qu'on peut rameuter des citations anti-sémites, hein...
On arrête là, la lecture de ce texte étant dangereuse pour nos plombages et notre clavier. Mais on ne voudrait pas oublier la cerise sur le gâteux. BHL a profité de ce pamphlet pour écorner encore Badiou (qui n'a rien à voir avec l'affaire Siné mais dont il a d'ailleurs plagié le titre), en ressortant que ses métaphores animalières sont facistes, et que qualifier Sarkozy d'"homme aux rats" est antisémite. On ne peut que vous recommander la lecture de la réponse de Badiou, dans
Le Monde aussi.
PS1 : Sans surprise, Laurent Joffrin qui ne veut pas être en retard dans le grand concert d'indignation contre tous les gauchistes antisémites, y va de sa contribution avec un
édito qui rivalise de fourberie et de malhonnêteté avec celui de BHL, sans toutefois le dépasser. Malgré des efforts louables (affirmer que Siné est antisémite, qualifier de religion l'islamisme au lieu de l'islam, en ajoutant qu'elle est devenue une idéologie politque), Laurent Mouchard a encore des progrès à faire. M'enfin s'il veut entrer au goulag, il est bienvenu.
Cette saillie très béachélienne lui servira de bon d'entrée :
«la vieille et funeste tradition de l’antisémitisme de gauche ? On connaît tout de même la chanson : «Les juifs, c’est l’argent, l’argent c’est le capitalisme, nous sommes contre le capitalisme attaquons les juifs !» »
PS2:
Rioufol et
Adler n'en perdent pas une non plus.
PS3: Scoop: Plantu a enfin fait un
dessin drôle.
PS4:
Acrimed analyse aussi brillament (mais moins bien que le politburo) l'article de BHL. Même limpidité de la part
Pierre Rimbert et
Alain Gunthert.
[1] Dans un commentaire stupide, donc supprimé sans une hésitation, un intervenant nommé Blueberry nous a signalé à juste titre que l'on avait confondu Pierre et le loup et l'enfant qui criait au loup. D'où la correction.